AnalyseChronique

Wembanyama, symbole d’une nouvelle ère

Crédit : Lucas Peltier/USA TODAY

En résumé

Le jeune prodige français illustre tous les aspects de la NBA moderne.

Ça y est, Victor Wembanyama a officiellement foulé les parquets NBA ce vendredi, dans une rencontre face aux Hornets de Charlotte, à Las Vegas. Ce qui devait être un simple match de Summer League s’est transformé en l’une des attractions les plus convoitée de Sin City, car les débuts du prodige français démarquent une nouvelle ère dans la grande ligue.

Les débuts de Wembanyama ont été frustrants. Le jeune pivot n’a mis que deux de ses 13 tirs, dans une soirée difficile face aux Hornets, pour un total de 9 points. Il s’est néanmoins imposé sur d’autres aspects du jeu, avec une bonne vision et une défense solide illustrée par ses 5 contres. « Individuellement je n’ai pas vraiment compris ce que j’ai fait sur le terrain ce soir, mais j’essaye d’apprendre pour les prochains matchs, et le principal reste d’être prêt pour la saison régulière », affirmait-il dans son entrevue d’après-match.

Avec toute la pression du monde sur ses épaules, le prodige français n’a pas su dominer comme il l’a fait par le passé, Wemby est projeté par plusieurs comme le prince héritier au trône de la NBA.

« C’est le meilleur prospect qu’on ait jamais vu », avait déclaré le reporter Adrian Wojnarowski d’ESPN, quelques mois avant le repêchage.

En effet, la Wemba-mania a commencé il y a bientôt un an maintenant. Deux matchs entre les Boulogne-Levallois Metropolitans 92 et l’Ignite de la G League en octobre 2022 avaient introduit Victor au public NBA, qui ne l’a jamais lâché depuis.

LeBron James, suite aux rencontres, l’avait qualifié d’« extraterrestre », en faisant référence à sa combinaison unique d’agilité et d’envergure. Le pivot français mesure officiellement 7 pieds 3 sans chaussures, avec une envergure d’environ huit pieds.

Mais Wembanyama est aussi unique par son parcours anodin, rare pour un talent de son calibre. Jonathan Givony, analyste du repêchage pour DraftExpress et ESPN, avait rapporté l’an dernier que « des équipes et des ligues du monde entier l’ont poursuivi, notamment l’Ignite de la G League, la NBL australienne, le Real Madrid, Barcelone, le Paris Basket et bien d’autres. »

Wemby a cependant opté pour le club parisien Mets 92, qui appartient à l’ex-international français et joueur NBA Boris Diaw, pour développer ses talents l’an dernier. Cette décision peut s’expliquer par des options divergentes du circuit universitaire américain traditionnel, la NCAA, sur les dernières années.

Par ses choix et son physique, Victor se fait donc aujourd’hui le porte-drapeau d’un changement de paradigme en NBA.

En NBA, « il ne suffit plus d’être grand »

De Wilt Chamberlain à Kareem Abdul-Jabbar ou Shaquille O’Neal, on le sait, le basketball est un jeu élitiste, pour les grands. De par la géométrie du sport, il est logiquement plus facile pour un joueur de sept pieds d’atteindre un panier faisant dix pieds.

Cependant, sur les dernières années, le pivot traditionnel est en voie d’extinction. Les intérieurs de type Roy Hibbert, étant incapables de s’adapter à un jeu de plus en plus rapide et technique, ont disparu peu à peu.

Et c’est ici que Victor entre en jeu. Comme le souligne Ben Taylor, auteur du livre Thinking Basketball, dans une vidéo dédiée au prodige français, « il ne suffit plus d’être grand » en NBA.

Wembanyama a démontré durant cette dernière saison qu’il était capable de tout faire. Merci, aux Kevin Durant et Dirk Nowitzki qui ont tracé le chemin, le jeune pivot a grandi sans mettre de limites à sa palette offensive : tirs à 3 points, fadeaways ou crossovers, rien ne semble être hors de sa portée.

Fan de Tony Parker dans sa jeunesse, Wemby a toujours essayé de répliquer les meilleurs coups de ses meneurs favoris. « Mon coach, quand j’avais 12 ans, me faisait regarder toutes les cassettes de Pistol Pete, il était vraiment à fond dans les vidéos d’entrainement de basket », explique-t-il dans une entrevue avec J.J. Redick, sur son balado The Old Man & the Three.

Tous ses indices mènent à un point précis, Wembanyama fait partie de cette nouvelle génération d’intérieurs, qui se permettent toutes les gâteries des meneurs, et il ne sera certainement pas le seul en NBA.

Les trois derniers joueurs à avoir soulevé le trophée du MVP sont Giannis Antetokounmpo, Joel Embiid et Nikola Jokic, qui font tous les trois sept pieds ou plus, et remontent souvent le ballon par eux-mêmes afin de mener le jeu de leurs équipes.

L’arrivée des « licornes », qui débute vers la seconde moitié des années 2010, est aussi un signe de cette évolution. Les Kristaps Porzingis ou Karl Anthony-Towns défient les principes du pivot traditionnel, en étant des joueurs de grande taille qui préfèrent jouer sur le périmètre, plutôt que de s’approcher de l’arceau.

Ce phénomène peut aussi être étudié dans les derniers encans. Le repêchage de 2022 avait notamment vu un top 3 constitué de Paolo Banchero, Chet Holmgren et Jabari Smith, faisant tous 6 pieds 10 et plus, en étant capables de jouer en dehors de la ligne des 3 points.

Curry a notoirement révolutionné la ligue par son excellence au tir à longue distance, peut-être est-il temps pour Wembanyama de provoquer sa propre révolution. Le pivot français de 7 pieds 3 est d’ailleurs aussi le produit d’un autre révolutionnaire, David Stern, qui a compris assez tôt que la balle orange n’avait pas de frontière.

La mondialisation de la ligue

« David avait une vision globale, il a reconnu que la technologie allait faire du monde un espace plus petit, et la NBA était mieux placée que n’importe quel autre sport pour atteindre tous les continents », raconte Mark Cuban, propriétaire des Mavericks de Dallas depuis 2000, à propos de l’ex-commissaire David Stern, dans un article du magazine TIME.

En effet, Stern, dès son arrivée en 1984, décide d’élargir la sphère d’influence de la NBA à travers des droits télévisés bons marchés partout dans le monde, afin de maximiser le potentiel du sport. La rivalité légendaire Lakers-Celtics des années 1980 a certainement aidé à transmettre l’amour du basket aux quatre coins du globe, en plus de l’arrivée d’un certain Michael Jordan.

Ce sera cependant les Jeux olympiques de 1992 à Barcelone, qui serviront réellement d’élément déclencheur pour la mondialisation du sport. La mythique « Dream Team » de Jordan, Barkley et cie., dont la composition est orchestrée par Stern, engendrera un fanatisme global jamais vu dans l’histoire du basket. Après les Jeux de 1992, tout le monde voulait « être comme Mike ».

Et aujourd’hui, selon un communiqué de la ligue, la NBA a célébré au début de la campagne 2022-2023 une dixième année de suite avec au moins 100 joueurs internationaux, une statistique inimaginable il y a 30 ans. Plus précisément, un total de 120 joueurs internationaux venant de 40 pays différents ont joué en NBA cette saison.

Cette évolution, au fil des années, a encouragé des joueurs tels que Joel Embiid à choisir le basketball au lieu du volleyball, ou à Nikola Jokic de choisir ce sport au lieu de la course de chevaux… parfois.

Adam Silver, commissaire actuel, a suivi les pas de son prédécesseur, et continue de globaliser les intérêts de la ligue. Silver est allé jusqu’à acheter les droits télés des Metropolitans 92, l’équipe de Wembanyama, afin de diffuser ses rencontres sur l’application NBA, disponible gratuitement, du jamais-vu pour un prospect qui n’a pas encore mis les pieds sur les parquets de la ligue.

L’accès au League Pass, abonnement qui permet l’accès à toutes les rencontres durant la saison, permet aux fans de basket du monde entier de suivre l’action NBA tous les soirs, indépendamment des réseaux de diffusion. L’abonnement est disponible dans plus de 200 pays, avec des options de commentateurs en plusieurs langues.

Ces investissements à l’étranger permettent de garder un monopole sur le talent mondial émergent, qui arrive désormais aux portes de la grande ligue par des voies non conventionnelles.

Défiance au circuit universitaire américain traditionnel

Victor Wembanyama est le seul premier choix de repêchage, depuis 2006, à ne pas avoir été issu du circuit NCAA depuis l’italien Andrea Bargnani, qui avait été repêché par les Raptors de Toronto.

Effectivement, comme mentionné plus haut, plusieurs talents ont opté pour des circuits divergents de la NCAA, qui a pour longtemps été le hub pour les meilleurs espoirs. Luka Doncic est un des exemples qui peut sauter aux yeux, puisqu’il a passé plusieurs années au Real Madrid, dans les ligues européennes et espagnoles.

Plusieurs talents américains ont eux aussi décidé de ne pas suivre la voie académique, comme LaMelo Ball qui était allé jouer professionnellement en Australie, pour les Hawks d’Illawara, à 18 ans.

Cette polarisation des chemins vers la NBA était plus visible que jamais sur l’encan 2023, cinq des joueurs sélectionnés dans le top 7 étaient issus d’organismes indépendants de la NCAA. Wembanyama et son compatriote français Bilal Coulibaly ont évolué pour Boulogne-Levallois l’an passé. Scoot Henderson a passé deux ans avec l’Ignite, et les jumeaux Thompson, Amen et Ausar, ont joué au sein du circuit Overtime Elite.

En se penchant sur l’encan 2024, la même situation peut être observée. Dans le repêchage simulé d’ESPN, Ron Holland et Matas Buzelis, projetés premier et deuxième choix de la Draft 2024, iront tous les deux faire leurs preuves pour l’Ignite l’an prochain. Le français Zaccharie Risacher, en troisième position, jouera pour l’ASVEL Lyon-Villeurbanne.

« Je pense que je suis un joueur différent. Le circuit universitaire est évidemment une bonne voie, je ne vais pas dire le contraire, mais pour mon style de jeu, la ligue professionnelle est la meilleure option pour moi. On essaye tous de devenir des pros, au final », expliquait Buzelis, encore une fois sur le balado de J.J. Redick, pour justifier son choix d’aller jouer en G League. « À l’université, il y a cette inquiétude d’être [limité] » a répliqué Redick, « quand j’étais plus jeune, il y avait des meneurs, des shootings guards, des ailiers et des ailiers forts. Tout le monde avait des positions et des rôles spécifiques. Et dans un certain sens, le circuit universitaire fonctionne toujours de cette même façon. »

Il est difficile de s’imaginer que la NCAA va disparaitre du jour au lendemain, mais une ligue encrée dans ses traditions semble peu à peu se séparer du modèle dynamique de la NBA.

Tous ces phénomènes peuvent être reliés, une globalisation de la ligue toujours en évolution depuis les années 1980, a engendré une collection de talent international unique, tel que Victor Wembanyama, qui en est l’exemple le plus évident à ce jour.

Raphaël Massoud

Raphaël est étudiant à l'Université de Montréal, et pigiste pour le magazine Quartier Libre. Mordu de basketball, il a rejoint AlleyOop360 pour canaliser sa passion du sport.

Raphaël Massoud

Raphaël est étudiant à l'Université de Montréal, et pigiste pour le magazine Quartier Libre. Mordu de basketball, il a rejoint AlleyOop360 pour canaliser sa passion du sport.

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