Chronique

Eaux troubles à Bed-Stuy

Crédit : AlleyOop360

En résumé

En trois saisons et demie, les Nets n'ont remporté qu'une seule série d'après-saison.

CHRONIQUE – On dit souvent que New York est la Mecque du Basketball. Après tout, de grands moments de l’histoire du sport ont vu le jour dans la Grosse Pomme. En contrepartie, elle a aussi vu quelques-unes des franchises les plus dysfonctionnelles que le sport professionnel ait connu. Trois ans suivant l’acquisition de Kevin Durant et Kyrie Irving, les Nets de Brooklyn sont en un clin d’œil devenus la risée de la NBA.

Il n’y a pas si longtemps de cela, on voyait les Nets comme favoris au championnat. Heureusement, le restant de la ligue avait le temps de se réajuster – ou encore de tout miser sur une finale avant même que Kevin Durant n’intègre les rangs des Nets. Rarement a-t-on été chamboulés comme nous l’étions le 30 juin 2019.

La paire KD-Kyrie était sans l’ombre d’un doute perçue comme la possible composante de la prochaine dynastie de la NBA. Tout y était : une réinvention de la culture entourant les Nets, l’uniforme et le mariage avec Brooklyn, la communauté à l’extérieur de Manhattan. Avant même d’avoir vu les deux principaux intéressés disputer une seule rencontre, le rappeur Drake les a vanté comme la superpuissance à venir sur sa piste Demons, sortie quelques mois plus tard. Les Nets étaient en voie de faire tomber la couronne des Knicks et devenir l’équipe numéro un dans la mégapole.

Les éternels pessimistes se sont alors mis de la partie. Après tout, on parle ici de Kevin Durant et Kyrie Irving. L’un a quitté la dynastie des Warriors de Golden State pour la simple et bonne raison qu’il avait « juste envie de jouer au basketball quelque part d’autre », comme il a mentionné lors d’un entretien avec Michael Lee du Washington Post en décembre dernier.

L’autre, c’est celui qui avait pourtant envie d’être le chef d’orchestre d’un groupe (raison pour laquelle il a quitté le nid à Cleveland) et qui a ensuite menti sur son intention de resigner avec une jeune équipe prometteuse à Boston. Sans oublier que cette même jeune formation avait poussé LeBron James et les Cavaliers de Cleveland à un septième affrontement en finale de l’Est un an auparavant.

Les mêmes pessimistes ont l’air bien moins fous aujourd’hui. À cette heure, c’est moi qui a l’air du fou d’avoir mis les Nets de Brooklyn dans une catégorie à part. Voilà donc le portrait de la chose à la veille de la saison 2020 : une équipe bourrée de talent dont les deux têtes d’affiche peinent à s’investir à long terme dans une culture gagnante. Le fierté personnelle a pris le dessus dans le cas de Kevin Durant et Kyrie Irving.

Prouver son point

Somme toute, la saison 2020-2021 était remplie d’engouement. Par contre, tout comme son meneur étoile, nous n’avons pas abouti à grand-chose. Les Nets faisaient tout de même parti du portrait, le simple fait d’avoir deux joueurs de la trempe de KD et Kyrie donnait automatiquement une chance au groupe d’empocher le gain à chaque sortie. Le duo avait du même coup bien reçu l’embauche de Steve Nash pour guider la troupe. Il manquait cependant un petit je ne sais quoi.

Les étoiles se sont alignées. L’acquisition de James Harden en provenance de Houston a fait gronder la NBA. J’irais jusqu’à dire que l’engouement autour des l’organisation était à son summum. On avait alors trois marqueurs de premier plan à Brooklyn. On est ainsi passé d’un One-Two Punch à un One-Two-Three Punch. La combinaison des trois joueurs a permis aux Nets et à ses partisans de rêver en couleur.

Les séries éliminatoires de 2021 ont toutefois terminé en queue de poisson. La super-team s’est fait montrer la porte de sortie par les Bucks de Milwaukee, couronnés champions un mois plus tard. Dans une fin de match des plus enlevantes, Kevin Durant est passé bien proche d’expédier son équipe en finale de conférence. Malheureusement, Brooklyn n’était qu’à un orteil près de passer à la prochaine ronde.

Quelques mois plus tard, l’arrière James Harden demande à quitter le navire. À l’image de son arrivée, sa décision de partir de la Grosse Pomme fait onde de choc à travers la NBA. Même pas une saison complète à New York et on perd déjà un morceau du fameux Big Three. L’instabilité de l’organisation commençait à se faire ressentir.

À la suite des départs soudains de Kevin Durant et Kyrie Irving, celui qu’on surnomme The Beard s’est exprimé à cœur ouvert sur son temps dans l’État de New York. Il mentionnait entre autres qu’il y avait « beaucoup de problèmes à l’interne ». Le vétéran de 33 ans a lancé être heureux de voir ses anciens coéquipiers sortir de cet environnement.

De mal en pis

Dans le but de rester parmi les favoris, il était impératif d’aller chercher quelqu’un de combatif, déterminé et prêt à remplir les souliers de James Harden. Voilà que Sean Marks va chercher le 10 février de l’an dernier le très controversé Ben Simmons.

Pour ce qui est des Nets de Brooklyn de 2019 à 2023, le chiffre magique n’est pas 7 (Kevin Durant), ni 11 (Kyrie Irving) et encore moins 13 (James Harden). Lorsqu’il vient le temps d’intégrer les anciens Nets de New Jersey dans une conversation, ledit chiffre magique est 16. Tout bonnement, le fameux trio qui devait partir à la conquête du livre des records n’a joué que 16 fois ensemble.

De là s’est formé une véritable pente glissante. Laissez-moi le dire, rarement a-t-elle été si glissante :

Steven Nash et les Nets « s’entendent » sur une résignation de l’entraîneur-chef ;

Kevin Durant demande à être échangé ;

Kyrie Irving demande lui aussi à changer d’adresse ;

Ben Simmons, qui a été sur la touche pour l’entièreté du calendrier 2021-2022, n’a pas joué une minute pour les Nets l’an dernier pour veiller à sa santé mentale. De plus, son manque de combativité a marqué ses derniers mois dans la Ville de la fraternité ;

Finalement, une multitude de pseudo-vacances surprises de Kyrie Irving pour raisons personnelles en pleine saison. À cela s’ajoute son refus d’être vacciné contre la COVID-19. Je mentionnais auparavant que le trio vedette n’a été aperçu sur le parquet qu’à 16 reprises, et bien Kyrie Irving en est pour quelque chose. Porte-couleurs des Nets pendant trois saisons et demie, le meneur n’a revêt l’uniforme que 143 fois.

SaisonParties jouées
2019-202020
2020-202154
2021-202229
2022-202340
Kyrie Irving

La suite…

La semaine de la date limite des transactions a été mouvementée pour Joe Tsai et son état-major. Le gouverneur s’est finalement défait des deux têtes d’affiche. La peur que nous éprouvions – fut un temps – est souvenir, tandis que nous sommes laissés à un rêve déchu.

On parle de l’importance de l’histoire. Elle sert à ne pas répéter les erreurs du passé. Jamais je n’aurais cru voir une franchise de sport professionnel faire pire que les Nets de Brooklyn en 2013. Ils avaient alors acquis les vétérans Paul Pierce, Kevin Garnett et Jason Terry – tous étaient bien au-delà de leur apogée. Or, vous l’aurez deviné, les Nets de Brooklyn ont réussi à faire pire que… eux-mêmes il y a 10 ans.

Plus ça change, plus c’est la même chose.

Alors voilà où nous en sommes dans l’arrondissement brooklynois de Bedford-Stuyvesant. On a ici le futur imminent de l’organisation hypothéqué dans l’espoir de remporter des championnats. Des airs familiers?

Le nouvel alignement est composé de joueurs tels que Ben Simmons, Mikal Bridges (acquis en retour de Kevin Durant), Spencer Dinwiddie (qui a évolué avec les Nets de 2017 à 2021) et un Cam Thomas qui pourrait potentiellement devenir un marqueur solide pour plusieurs années.

Le cas de Ben Simmons reste incertain à ce jour. Le principal intéressé est réciproque au dilemme. Selon le New York Daily News, le meneur n’a « aucune idée » de quoi son rôle aura l’air. Je me serais attendu à un brin d’enthousiasme de sa part. Son rapport de repêchage l’a pourtant décrit comme étant quelqu’un « qui a besoin que les choses se déroulent autour de lui, autant sur le terrain qu’en dehors ».

Sa fiche de recrutement peut en témoigner, cordialité de Jonathan Givony du réseau ESPN, 2016 :

Jacque Vaughn s’est d’ailleurs prononcé sur la chaise qu’occupera l’Australien. Le nouvel entraîneur-chef des Nets a lancé en conférence de presse ce lundi qu’il tenait en lui « la responsabilité de maximiser le potentiel de Ben ». J’ai personnellement confiance en Vaughn. En dépit de la bisbille hors-terrain, Brooklyn siège au cinquième rang dans l’Est. Ils sont en lice pour participer aux séries d’après-saison.

Restons tout de même réalistes, les Nets ne se retrouveront pas dans les bas-fonds du classement général de la NBA pour les cinq prochaines années. Le fruit de ces transactions devrait leur permettre de jouer du bon basketball et d’offrir un bon produit aux partisans du Barclays Center, au minimum. Juste mercredi soir, le nouvel arrivé Mikal Bridges a marqué 45 points et Brooklyn joue pour .500 depuis la date limite des échanges.

Toutefois, de perdre deux superstars de telle façon demeure une conclusion perdante – particulièrement lorsque aucun All-Star n’a été récupéré en retour.

J’ai auparavant réprimandé l’autre équipe à New York – les Knicks – de s’être bâti une culture du « presque » : presque signer un tel et presque réaliser quelque chose de signifiant. J’admets que les Nets se glissent désormais dans la même catégorie.

Néanmoins, le noyau qui devait conquérir la ligue n’est plus. Ils ont essayé, mais l’expérience que fut celle des Nets de Brooklyn n’est rien d’autre qu’un lamentable échec.

Émilio Constanza

Émilio est un passionné du journalisme. Fraîchement sorti du programme des arts, lettres et communications des médias au Collège Lionel-Groulx, il veut rassembler les deux choses qu'il aime le plus: journalisme et sport.

Émilio Constanza

Émilio est un passionné du journalisme. Fraîchement sorti du programme des arts, lettres et communications des médias au Collège Lionel-Groulx, il veut rassembler les deux choses qu'il aime le plus: journalisme et sport.

Voir plus